La défense européenne

Comment l’Europe s’organise en matière de défense pour répondre au retour de l’impérialisme ?

Introduction


Les États-Unis ont de tout temps été le grand partenaire de l’Europe sur le plan de la défense, soutenant le continent dans des opérations conjointes telles qu’en Yougoslavie après la fin de l’URSS. Aujourd’hui, le retour de Donald Trump au pouvoir a changé la donne. Le président met la pression sur les membres de l’OTAN et notamment sur les pays européens en les invitant à dépenser à hauteur de 5 % de leur PIB dans l’organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Dans l’objectif de redevenir une hyperpuissance, les États-Unis privilégient leurs propres intérêts, aux dépens des alliances historiques. Le pays se focalise ainsi davantage sur la guerre commerciale qu’il mène contre une Chine hégémonique sur ce plan, en s’intéressant notamment sur la question du développement de l’intelligence artificielle. Afin de s’imposer sur la scène internationale, Donald Trump brandit des menaces de taxation à tout va, ce qui affecte d’autant plus les relations avec les partenaires européens. Face à la voie solitaire que se trace les États-Unis pour eux-mêmes, les pays européens prennent conscience de la nécessité de faire un bilan sur leur compétence en matière d’auto-défense. Une auto-défense qui est aujourd’hui cruciale dans un monde fracturé entre élans impérialistes de la Russie en Ukraine et élans expansionnistes des États-Unis. Les deux dynamiques représentant pour l’Europe des menaces existentielles. Face à ces nouveaux impérialismes, comment l’Union européenne se réorganise-t-elle sur le plan de la défense ?


Pour y répondre, nous verrons d’abord comment se manifestent les impérialismes (1) menaçant l’Europe (a) et d’où ils proviennent. Nous aborderons alors la question du sursaut européen à l’heure de la réélection de Donald Trump (b). Il sera ensuite temps d’analyser la réaction de l’Europe face à ces impérialismes (2), nous parlerons alors des solutions qui se proposent à l’Union (a) mais aussi de la position et réaction de la Pologne sur la question de la défense européenne (b). Enfin, nous mettrons le doigt sur les obstacles qui s’opposent à la bonne conduite des initiatives européennes en matière de défense (c).

1.Le retour de L’impérialisme…

a)…Et ses menaces pour l’Europe


Par « impérialisme », entendons la dynamique expansionniste d’un État poussé par la volonté d’imposer son modèle sur la scène internationale, ceci de manière plus étendue qu’il ne l’est présentement. Cet élan est perceptible aux États-Unis, et surtout depuis la réélection de Donald Trump. Le président dont le premier mandat a été marqué par le « repli sur soi » —illustré par la construction du mur à la frontière avec le Mexique — est aujourd’hui à l’initiative d’une toute nouvelle direction : l’impérialisme comme moyen de reconquérir le statut d’hyperpuissance. Cela se traduit par le changement arbitraire du nom du golfe du Mexique en golfe d’Amérique, à des projets unilatéraux d’annexion du Canada et du Groenland. Des propos qui ont refroidi les relations avec le pays d’Amérique du Nord et le Danemark. Cet impérialisme territorial traduit la volonté pour le dirigeant états-unien de revenir à une « nation de croissance » qui impose sa vision à d’autres territoires.


Les États-Unis ne sont pas le seul pays à représenter le retour de l’impérialisme. La Russie, avec son invasion de l’Ukraine en février 2022, exprime également sa volonté d’étendre son influence dans le monde et à s’imposer face au monde occidental perçu comme l’ennemi. Cette opération militaire se présente aux pays européens comme une menace existentielle étant donné qu’elle prend place à leurs portes. La réalité de la guerre en Ukraine et la dégradation des relations avec les États-Unis font prendre conscience aux pays européens qu’il est nécessaire pour eux de repenser leur modèle de défense.


b)Le sursaut européen


Les États-Unis, qui soutenaient massivement l’Ukraine sous la présidence de Joe Biden, adoptent une toute autre approche depuis l’investiture de Donald Trump. Pour empêcher la disparition de l’Ukraine et/ou un accord de cessez-le-feu négocié avec la Russie dans l’Ukraine l’Europe a organisé, au début de l'année, plusieurs réunions afin de discuter de ces questions de défense. C’est ainsi qu’a eu lieu la retraite informelle de Bruxelles réunissant quelques dirigeants de pays européens et le Royaume-Uni, représenté par Keir Starmer. Le Royaume-Uni s’est exprimé en soutien de son partenaire européen en appuyant sur le fait qu’il est nécessaire pour l’Europe de penser à une armée européenne. Historiquement, le Royaume-Uni est très proche de son allié états-unien, faisant par exemple partie des 5 Eyes au même titre que le Canada et l’Australie. Au cours de ces discussions européennes, des plans ont été proposés. La Commission européenne s’est ainsi positionnée sur un plan d’investissement pour la défense à hauteur de 500 milliards d’euros prévu pour la décennie à venir.



2.Le réveil européen

a)Une union qui ne part pas de rien


Même si l’Europe s’est bâtie sur un projet essentiellement économique, l’Union n’est tout de même pas dénuée d’atouts en matière de défense, disposant par exemple de productions fortes spécialisées dans les antimissiles et la défense aérienne. Cela dit, initiatives, notamment dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, se reposent surtout sur ses partenaires supranationaux tels que l’OTAN, organisation majoritairement supportée par les États-Unis. Sur la question des missiles et des munitions, des politiques concrètes sont d’ores et déjà mises en place, avec des objectifs clairs. La Commission européenne de la stratégie industrielle a en effet mis en place deux outils en 2024, dont ASAP, un projet focalisé sur la production de missiles et de munitions. L’objectif étant, pour les pays européens, d’acquérir 40 % des nouveaux équipements militaires de manière collaborative. C’est un programme qui incite les États à coopérer avec leurs voisins, alors que la défense a depuis lors été une question nationale.


Pour parvenir à exister dans le monde fracturé en deux parties du monde, est et ouest, l’Europe réfléchit à plusieurs plans d’investissements. En octobre 2024, la Commission européenne recevait le rapport Niinistö. Ce document préconise la création d’une agence de renseignement européenne basée sur le modèle des 5 Eyes. Cette institution permettrait, selon le rapport, l’indépendance des États membres de l’UE vis-à-vis des États-Unis. Cette instance se préoccuperait, en plus du renseignement militaire, des enjeux de l’information, notamment médiatique et numérique. Le rapport détaille l’intérêt de la mise en place d'une « opération anti-sabotage » afin de contrer les opérations d’ingérence russes dans les pays européens. Des manipulations de l’information qui prennent place sur Internet.


Dans la continuité de ce rapport, Ursula von der Leyen présente au début de mars un livre blanc sur le plan ReArmEurope. Un plan nécessitant 800 milliards d’euros qui révèle plusieurs propositions, dont l’autorisation d’un déficit en cas d’investissement dans le domaine de la défense. On y propose de ne pas compter les dépenses en termes de défense dans le budget des États. Ce point suit les préconisations de la boussole stratégique de 2022 qui invitaient à augmenter de 1,5 % en moyenne la part des dépenses dans la défense (par rapport au PIB) des États membres. Cette proposition est d’ailleurs soutenue par la Pologne, dont nous évoquerons l'engagement plus tard dans cette note. Le plan propose aussi l’élargissement du mandat de la Banque européenne d’investissement, qui lui permettrait d’autoriser des investissements publics et privés des entreprises de défense et de faciliter les prêts aux États qui pourraient alors emprunter jusqu’à 150 milliards d’euros. Une initiative qui suit la stratégie en place aux États-Unis où Starlink occupe une place importante dans le déploiement des technologies de radars satellitaires dans les ressources des États-Unis.

En pratique, les pays européens sont également à l’initiative d’un projet de bouclier Est, pensé pour parer les éventuelles attaques provenant de la Russie, notamment envers l’Estonie, la Lituanie et la Lettonie. Le projet pourrait être complètement opérationnel en 2027-2028.



b)Le cas de la Pologne


Face à ces nouvelles dynamiques impérialistes déstabilisant le monde, les pays européens comprennent qu’ils ne peuvent plus compter sur les Etats-Unis. Cette prise de conscience s’est accompagnée en Pologne d’actions concrètes sous forme d’investissements massifs dans le domaine de la défense. On attend de ce pays qu’il devienne la première puissance armée d’Europe à compter de 2035. Un effort motivé par la situation géographique de la Pologne : l’Etat se trouve en effet tout proche de la Lituanie qui elle même est voisine de la Russie. Au-delà de cette motivation existentielles, la Pologne entend bien être partie prenante aux futures négociations de paix, frustrée de ne pas avoir été inclue dans les discussions des accords de Minsk, entrepris par le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis.


Less efforts de la Pologne passent en partie par l’achat de matériel selon les besoins sécuritaires. On parle de mille chars achetés aux sud-coréens et une centaine d’hélicoptères dernièrement acquis par le pays. Ce plan de modernisation de son armée se finance via une dette et devrait aboutir sur une armée dominante en Europe d’ici 2035. Un indicateur pour s’en rendre compte : la Pologne envisage de détenir 1 500 chars, là où la France n’en possède « que » deux cents. 


En s’imposant dans cette voie, la Pologne entend inspirer les autres membres de l’Union Européenne. En mars 2022 sa loi sur la défense de la Nation invite les autres pays à aussi investir 3 % de son PIB au moins dans la défense et à renforcer leur effectif de soldats. À ce titre, la Pologne souhaite compter 300 000 hommes dans son armée, dont 250 000 professionnels. La Pologne qui était un pays frugal en termes d’investissement dans ce domaine, prouve aux pays européens qui le sont actuellement que cela est possible, qu’il est envisageable de renforcer ensemble la défense du continent via des plans nationaux forts. 


c)Les obstacles au projet européen de défense


L’objectif ultime de construire une défense européenne est en Pologne une question qui transcende les divisions partisanes, étant donné que la loi sur la Défense nationale a été votée à l’unanimité. Cela dit, pour que l’élan vers plus d’investissement en matière de défense se réalise, le pays en question doit croire au projet européen. En Pologne, par exemple, des sondages présentent des taux d’europhilie de 80 % au sein de sa population. Or, au sein de l’Union il existe des tendances souverainistes incompatibles avec un projet de politique commune de l’ampleur de celui qui est de bâtir une armée européenne. C’est le cas en Hongrie, par exemple. Et c’est précisément sur ce point que la proposition du rapport de Niinistö a été critiquée. L’agence européenne du renseignement suggérée n’est pas désirée de tous : les États craignent de perdre leur souveraineté sur la production et l’analyse du renseignement.



Documents

https://www.courrierinternational.com/article/la-lettre-de-l-educ-l-imperialisme-nouvelle-obsession-de-donald-trump_227993

https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/defense-europeenne-face-a-trump-et-poutine-l-europe-cherche-a-augmenter-sa-puissance-militaire/

https://sgae.gouv.fr/sites/SGAE/accueil/a-propos-du-sgae/actualites/mario-draghi-remet-son-rapport-s.html

https://www.vie-publique.fr/en-bref/297570-rearm-europe-un-plan-de-800-milliards-deuros-annonce

https://cf2r.org/wp-content/uploads/2024/10/Rapport-Niinisto.pdf

https://www.ifri.org/fr/audio-le-monde-selon-lifri/pologne-premiere-armee-deurope

https://www.ifri.org/fr/presse-contenus-repris-sur-le-site/thierry-de-montbrial-les-etats-unis-ont-repris-en-main-la


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