Dépasser la vision européenne sur la position de la Russie.

En temps de guerre, suite à l'invasion de l'Ukraine, les pays d'Europe ont solidairement condamné le positionnement diplomatique russe. Afin de nuancer le propos et de revenir aux sources de ces positionnements problématiques, cet article d’opinion propose de parcourir les faits incriminants de la Russie, mais aussi ceux incriminants l'Europe. Ceci avant de considérer sérieusement le plus grand pays du monde comme un acteur rationnel sur la scène internationale. 


Les arguments incriminants envers la Russie :

Dans les pays européens, les raisons mises en avant par le gouvernement russe pour justifier l’opération spéciale en Ukraine sont dénoncées. Le discours officiel, exprimé notamment via les médias russes et même à travers des expositions pédagogiques, affirme que l’opération vise à libérer le peuple ukrainien du nazisme persistant depuis la Seconde Guerre mondiale. Afin de dépasser les critiques de cette affiliation du nazisme au peuple ukrainien, tentons de le comprendre.

Comme dans tous les pays, des mouvements nationalistes minoritaires existent. Depuis 2014 (invasion de la Crimée), certains groupes arborent des iconographies néo-nazies. Historiquement, le peuple, autrefois galicien, a accueilli l’armée du IIIe Reich comme des libérateurs de l’occupation soviétique. Cette effervescence était un espoir d’indépendance pour la nation. Opposé à cette fin, Hitler bloque le projet nationaliste. Une partie de la population est également contre le projet indépendantiste et décide d’adhérer à l’idéologie nazie. 

Ces moments de collaboration, que nous avons également connus en France et qui ont été une réalité dans d’autres pays. Ces moments sombres de l’Ukraine constituent le chef d’accusation exprimé par la Russie à l’encontre de l’Ukraine.

Les couvertures médiatiques des cyber-attaques ciblant des services publics ukrainiens ont également accentué la méfiance et la désapprobation de l’opinion publique européenne envers la Russie. L’exemple de l’attaque contre l’opérateur de télécommunications Kyïvstar a démontré que les médias pouvaient mettre en lumière les agissements néfastes orchestrés par la Russie contre la population. Cette attaque a été identifiée comme étant organisée par une unité de renseignements militaires russes. Les médias occidentaux, en réponse à la solidarité de la sphère médiatique russe avec son gouvernement, se sont unis pour condamner les stratégies russes visant à déstabiliser l'État ukrainien.

Ainsi, ce qui est également dénoncé par les médias occidentaux, c'est la solidarité entre les grands médias russes, traduite par une stratégie de transmission et une ligne éditoriale similaires. On parle, par exemple, des campagnes de désinformation au service du discours officiel sur la situation de la guerre.


Les arguments incriminants envers l’Europe :

Les pays sous l'égide de l'OTAN se sont installés aux portes de la Russie. Des bases militaires de l’organisation se trouvent en Estonie, Lituanie, Lettonie, Pologne et Roumanie. Encadrant cette présence, les trois États baltiques (Lituanie, Lettonie et Estonie) ont signé ensemble un engagement de défense commune en cas de menaces à leur souveraineté. Le document a été signé suite au sommet de l’OTAN tenu à Madrid en 2023. Les pays signataires de cet engagement sont à la fois membres de l'Europe et de l’OTAN. La Russie associe ces deux identités pour représenter, auprès de l’opinion publique, un ennemi commun. Cet ennemi a trois visages : le néo-nazisme, l'occidentalisme et l'Europe.

En réponse à l’invasion de la Russie en Ukraine, l’Europe a non seulement renforcé sa présence militaire aux portes de la Russie, mais elle a également imposé de nombreuses sanctions économiques.

Si la propagande russe est bien mise en lumière par les médias européens, la propagande européenne existe tout autant sous d'autres formes et discours. Cette stratégie de déstabilisation de la Russie en faveur d’une Europe unie contre un ennemi de facto face à une Ukraine amie, est palpable dans la manière de couvrir l’actualité et les prises de parole concernant le gouvernement russe. Ainsi, les questionnements sur la santé mentale de Poutine et la plus grande couverture médiatique des désastres militaires côté russe comparée à ceux du côté ukrainien sont des exemples qui affectent la crédibilité de la rationalité et de la puissance du belligérant russe.


Considérer la Russie comme un acteur crédible, puissant et rationnel

Nous avons délaissé la prise de distance nécessaire pour comprendre nos positionnements vis-à-vis de la guerre en Ukraine. Pourquoi devrions-nous ainsi considérer ce belligérant sérieusement ? Justement pour comprendre les coulisses des événements que nous observons. Il est crucial de saisir les intentions derrière les opérations militaires, les enquêtes journalistiques et les choix éditoriaux. Comprendre les causes des positionnements de chaque acteur permettra de construire un avis critique sur la situation au lieu de recevoir un avis préconçu.

Premièrement, questionner la folie d’un dirigeant politique est plus vendeur que fertile pour construire une réflexion politique. Les États-Unis avec Donald Trump, la Corée du Nord avec Kim Jong Un et la Russie sous Poutine ont été tous les trois au centre de ce type d’inquiétude. La tension, laissant planer le doute sur l’envoi d’une bombe nucléaire est le moteur de ces interrogations sur la santé mentale des dirigeants. Les dirigeants des grandes puissances du monde sont entourés de conseillers et tous veulent assurer la sécurité interne de leur nation. Ils savent qu’envoyer une telle arme de destruction massive aboutirait in fine à l’autodestruction de leur patrie. La folie ne semble alors qu’un argument pauvre visant à décrédibiliser l’opposant qui, à la fin, désire la paix et la sécurité aux frontières, tout comme les autres.

Sur le thème de la psychologie caractérisant les comportements diplomatiques de la Russie, nous pouvons constater que la façon de percevoir la géopolitique et de faire de la politique ne sont pas les mêmes en Europe qu’en Russie. Ainsi, lors d’élections en Russie, on vote moins pour les idées d’un parti politique que pour la figure d’un homme. Même si cela est en train de changer en Europe, les partis politiques dynamisent toujours la vie politique des pays européens, contrairement à la vie politique russe. 

En contexte de guerre générant un sentiment d’insécurité, il est compréhensible que les citoyens russes soient tentés de voter pour une figure forte de l’autorité au lieu de risquer la nouveauté d’un autre candidat. Poutine, que ce soit à l’intérieur de son pays ou à l’international, entretient toujours l’image d’un homme fort. La présidence poutinienne permettrait à certains Moscovites de se sentir protégés, même à 500 km de la frontière où ont lieu les combats.


Qu’attendre de la suite ?

Deux issues s’ouvrent quant à la résolution du conflit. Soit, les pays ayant pris position sur la guerre russo-ukrainienne vont tenter de comprendre les intentions et la manière de penser des autres dans le but d’apaiser les tensions. Cela impliquerait un dialogue constructif, des négociations diplomatiques et une volonté commune de trouver des solutions pacifiques. En somme de faire un premier pas vers l’autre nation contre laquelle nous sommes opposés.

Soit, les acteurs impliqués percevront toutes les actions de la part des autres pays comme des menaces, ce qui fera escalader les tensions. Dans ce scénario, la méfiance et l'incompréhension domineront, entraînant des actions hostiles et une intensification du conflit.



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